La difficulté provient de ce que l’on oppose travail et loisirs, le travail producteur de contraintes auxquelles on ne peut échapper, les loisirs, la liberté de faire ce que l’on veut sans la moindre entrave. Alors à partager ainsi son existence, côté pile terrifiant et côté face merveilleux, on ne peut que se retrouver insatisfait, voire très malheureux.
Commençons par la fin, le pincement que nous avons à constater l’écoulement de nos vacances, nous l’estimons partagé par tous les êtres humains normalement constitués, tant cette opinion est largement diffusée et exploitée, de là à en faire un postulat de la nature humaine, il reste une objection à formuler : il ne s’agit pas d’un sentiment universellement partagé, mais d’une opinion qu’émettent ceux qui sincèrement préfèrent les loisirs au travail et par convenance, pour ne pas offenser, la plupart de ceux qui ne le pensent pas.
Car ils ne sont pas aussi rares qu’il peut paraître, ceux qui passent leurs vacances sans compter les jours qui les séparent de la rentrée, sans se sentir de plus en plus anxieux à la pensée de ce qui les attend, comme si c’était la guillotine. Un jour à la fois, et ils profitent également des vacances jusqu’au bout.
Des êtres d’une autre planète ? Non, des êtres comme vous et moi qui trouvent autant (peut-être plus parfois) de plaisir à rentrer de vacances qu’à quitter leur emploi, car ils ont parfaitement intégré le travail dans leur vie, ce n’est pas une corvée à laquelle ils échapperaient si c’était possible, mais une occupation du temps comme peuvent l’être les loisirs.
Ces loisirs qu’ils passent, non à ne rien faire, à ne penser à rien, à se jeter dans n’importe quelle distraction, mais à vivre tout simplement .à leur convenance, c’est-à-dire à se livrer à des activités qu’ils délaissent quand ils sont « au travail » Leur détente n’est pas l’inactivité, mais des activités différentes, du travail donc toujours aux yeux de ceux qui se languissent. Ils aiment ce qu’ils font, que ce soit dans le cadre du travail que dans celui des loisirs. Bien sûr le travail a ses mauvais jours, mais les loisirs aussi parfois.
Je viens de lire Tintin au Congo, de relire plutôt car je l’ai sans doute lu, comme d’autres BD, peu nombreuses, il a quelque soixante ans, et je ne souviens plus y avoir trouvé alors de qui fouetter un noir. Certes le langage employé était « »le petit nègre » mais, enfant, j’aurais sans doute déjà mal compris qu’au cœur de l’Afrique on parlât un français académique. C’est d’ailleurs le type de langage que nous employons aujourd’hui lorsque, nous rendant dans un pays duquel nous ne connaissons la langue que par ce que nous avons appris à l’école, nous tentons de nous faire comprendre. Plus piteusement souvent que les noirs de Tintin au Congo.
Et n’est-ce pas aussi le cas des étrangers qui nous font l’honneur de visiter notre pays, nous apprécions qu’ils nous parlent « petit nègre » plutôt que de se contenter de leur langue maternelle, quitte à nous en moquer en privé, gentiment le plus souvent. Le ridicule éclate lorsque, dans les médias, des Français de souche se mettent à baragouiner en anglais, croyant épater leurs compatriotes qu’ils prennent alors pour des sauvages.
Certes dans Tintin, les noirs sont parfois pris pour de grands enfants, mais n’est-ce pas le propre des « missionnaires » (= individus en mission) que de se prendre pour des êtres supérieurs ? Il y a le méchant sorcier noir, mais aussi le méchant blanc qui est livré en pâture aux crocodiles. Coco, l’enfant noir, est bien sympathique, toujours là au bon moment. Et si Milou emploie dans ses réflexions un français impeccable, c’est que, très malins pourtant, nous sommes incapables de comprendre le langage des chiens. Un chien blanc qui aurait parlé « petit nègre » aurait été une injure pour les gens de couleur.
« L’écrit nous donne l’illusion de savoir alors qu’il ne suffit pas de lire pour comprendre. N’importe quelle idée suppose en plus l’effort de méditation ». On voit que l’article s’adresse à des étudiants pour leur faire des remarques qui sont souvent nécessaires, car comment pourrait-on faire croire à un adulte plus ou moins averti qu’il suffit de lire un texte pour en comprendre le sens . On n’en est plus alors à la nécessité d’apprendre par cœur, de retenir des formules sans trop savoir les limites de leurs applications et donc de les appliquer parfois à tort. Comme cet élève de troisième, à qui le prof de maths avait dit moins par moins donne plus et qui appliquait la leçon à un ensemble constitué d’additions et de soustractions.
N’importe quelle idée suppose en plus l’effort de méditation, mais alors comment consacrer du temps, il en faut, à méditer sur ce qu’un professeur vous dit, sachant qu’il passe aussitôt à autre chose, surtout s’il présente cela comme parole d’évangile, du sachant au devant savoir ? Le cas se présente de même en dehors de l’enseignement, dans la vie courante, lorsque l’on a affaire à un spécialiste, un expert, qui vous noie sous des arguments qui vous paraissent incompréhensibles, comment démêler le faux du vrai si tant est qu’il existe ?
Donc entre l’oral et l’écrit, les avantages ne sont pas d’un côté, les inconvénients de l’autre. Pourquoi refuserait-on l’un au profit de l’autre, alors que les deux sont parfaitement complémentaires ? .On n’a parlé jusqu’à présent que de l’oral et de l’écrit des autres, entendre ou lire un cours, et c’est fondamentalement l’occupation de l’étudiant, mais il ne faudrait pas passer sous silence le travail personnel, qui ne peut être qu’à la fois oral et écrit.
Exprimer une pensée, c’est le faire d’abord oralement, au moyen d’un certain vocabulaire, à basse ou à haute voix, la haute voix permettant de mieux se rendre compte du sens des mots utilisés, de se corriger avant même d’écrire, et une fois les mots couchés sur papier, ou sur l’écran de l’ordinateur, de corriger encore pour synchroniser les phrases avec ce que l’on voulait exprimer. A moins que, au fur et à mesure que la feuille se remplit, la pensée évolue et ne fasse écrire des choses auxquelles on ne pensait pas en commençant le paragraphe. C’est bien alors que l’on ressent ce que peut-être la liberté de pensée, partir d’une certaine idée, et la voir évoluer au fil des lignes, alors qu’à ne pas se livrer à l’écriture, nos pensées évoluent certes, mais un peu n’importe comment, du coq à l’âne, comme l’on dit sans savoir trop pourquoi, ou au contraire se focalisent, on passe à l’idée fixe dont on devient prisonnier.
Se défait-on de ses idées à les consigner ? oui et non. On peut s’en défaire sur l’heure, car on sait qu’on peut se retrouver, où et quand on le désire,. Et l’on se tient disponible pour d’autres, car on ne peut penser à deux choses simultanément, surtout si elles sont contradictoires. Vous regardez un cylindre, c’est un cercle ou un carré, mais il faut un certain temps, une durée pour passer de l’un à l’autre et à penser au cercle, vous oubliez le carré. A consigner l’un, vous pouvez penser à l’autre sans réserves. .
Si le conseil s’adresse notamment aux étudiants qui commencent la philosophie, il s’adresse aussi à tous les étudiants quels que soient leur niveau et leur spécialité. On ne peut qu’approuver : « rien ne vaut un cours vivant, oral, auquel on assiste physiquement et intellectuellement » . Rater un cours est toujours une mauvaise chose et tenter de le rattraper en reprenant les notes, même complètes d’un copain, n’est toujours qu’un pis-aller. Nous en avons tous fait, et plus d’une fois, l’expérience, preuve, s’il en est besoin, que la transcription ne reprend qu’une partie du cours, les éléments de base .à partir desquels on peut tout imaginer, donc autre chose que ce que le professeur a voulu transmettre.
Ce qui dans le cadre des programmes imposés constitue un inconvénient sérieux . Sauf dans le cas évidemment où l’animateur…n’anime pas, c’est-à-dire se contente de lire ses notes, c’est heureusement rare en cours, mais cela se voit parfois lors de conférences, et davantage depuis qu’au lieu de lire leurs notes, ces « conférenciers » s’abritent derrière une projection vidéo qui peut être de qualité, mais dont ils se contentent de lire les textes, comme s’ils s’adressaient à des illettrés.
La pensée émise par celui que je suis à l’instant t peut-être cohérente et, en fonction de ce qui se passe entre t et t’, la pensée émise par celui que je suis à l’instant t’est peut être aussi cohérente que la première, tout en étant en contradiction avec elle. Quand l’intervalle de temps est important, cela ne fait aucun doute, nos pensées d’adultes ne sont-elles pas souvent en contradiction avec celles de notre enfance ? Mais que l’intervalle de temps se réduise ne change guère les choses, je pensais ceci hier, je pense le contraire aujourd’hui, ma pensée d’hier et celle d’aujourd’hui sont incompatibles, et alors ? Il serait absurde d’exprimer la même pensée aujourd’hui qu’hier, alors que dans l’intervalle se sont déroulés certains faits qui m’ont fait évoluer. .