Il n’y a pas si longtemps, on montrait ou on ne montrait pas, on publiait une photo ou on s’en gardait, c’était un choix conscient dont on assumait la responsabilité. L’informatique permet aujourd’hui de jouer tout à loisir pour trouver le cadrage et le zoom les plus évocateurs, ceux qui montrent sans montrer, de tricher en respectant par exemple des valeurs de moralité ou de bienséance tout en laissant le soin au lecteur, au voyeur puisqu’il s’agit de vision, non seulement d’imaginer, ce qui est un droit élémentaire, mais de voir ce qu’il a envie de remarquer.
Quand, encore, vous ne disposez que d’un tirage, vous êtes revenu au cas précédant, celui de la photo classique (rappelons-nous les montages qui n’échappaient pas à un œil exercé), mais pour peu que vous disposiez de l’image informatique elle-même, libre à vous d’en tirer n’importe quoi. Vous pouvez aujourd’hui quasiment tout faire des prises de vues, alors qu’il n’y a pas si longtemps elles constituaient des preuves irréfutables, de flagrant délit par exemple. Quelle époque ?
Quelle époque terrifiante pour certains qui manquent quelque peu d’esprit critique puisqu’ils ne peuvent plus se fier à rien et surtout pas aux images qu’on leur présente à flot continu, alors que notre culture insistait sur la forte probabilité de vérité de l’écrit, et davantage encore de l’image « fixée à jamais sur la pellicule ».
Quelle époque merveilleuse pour d’autres, ceux qui produisent ces écrits certes mais aussi ceux qui ressentent le sentiment de leur liberté à les interpréter à leur manière. Car ce qui n’a pas changé, c’est ce passage de relais entre celui qui émet et celui qui reçoit, avec à chacun sa propre valeur de consigne, les écrits et les images, une fois publiés, n’appartenant plus à leurs auteurs mais devenant la propriété de ceux qui les lisent ou les visionnent.
A se demander d’ailleurs dans quelle mesure un écrit engage la responsabilité de son auteur et pas plutôt celle du lecteur. De quoi remettre au goût du jour la phrase, alors empreinte d’ironie, « Les opinions exprimées ici n’engagent que la responsabilité de ceux qui les écoutent », sous réserve quand même de donner au verbe écouter le sens fort de « se complaire, tenir compte des paroles de… » et non simplement celui de « prêter l’oreille ».