« Pour l’intelligence latine, en cas d’échec, ce sont toujours les faits qui ont tort.
Le ciel des
idées est notre patrie. Nous n’aimons pas à en redescendre » (Alain Peyrefitte)
La science
aujourd’hui, et depuis des siècles maintenant, se targue d’expliquer les faits, d’en déterminer des lois, des relations de causes à effets, afin de
prévoir les faits futurs, les mêmes causes entraînant les mêmes effets. Le résultat n’est pas mauvais, et l’habitude s’est prise de considérer que ce qui peut s’expliquer scientifiquement est la
réalité, ce qui s’en écarte allant de la croyance à la divagation. Nous disposons donc de nos jours de tout un arsenal qui nous permettent, non
seulement de comprendre le passé, mais encore d’anticiper sur le futur avec de bonnes probabilités de ne pas nous tromper.
Bonnes
probabilités car, de temps à autre, un fait se produit qui, non seulement n’avait pas été prévu, mais encore et surtout n’entre pas dans les diverses possibilités de son apparition, ce qui nous
semble bien fâcheux. Comment régler ce différent, s’il est unique notamment, pas question de revoir, c’est-à-dire de remettre en cause les théories
en vigueur ou les observations dûment contrôlées précédemment pour un fait isolé, notamment s’il est anodin. Seuls quelques chercheurs, toujours à l’affût d’un sujet de thèse, journalistes à la
recherche d’un papier, ou individus quelconques doutant de tout ce qui paraît officiel, émettent des réserves à ce sujet.
Mais
l’opinion communément admise (c’est une opinion parmi d’autres, mais la plus partagée) est que le fait est à revoir, qu’il a été inventé, mal vu, mal compris, mal interprété, qu’une cause
inconnue l’a motivée et que l’on découvrira bientôt comment enchaîner ce fait aux autres qui ne posent pas problèmes. Pour l’intelligence latine, en
cas d’échec, ce sont donc toujours les faits qui surviennent qui ont tort. Un certain temps est nécessaire pour que ce fait, s’il est accompagné
d’autres identiques ou ressemblants, puisse envisager de remettre en question le science officielle, celle que tout un chacun admet comme infaillible.
Ainsi présenté la
phrase d’Alain Peyrefitte, l’intelligence latine ne semble pas émanée d’esprits scientifiques, mais que serait la science s’il en était autrement ? Si chaque fait, mettant apparemment en
échec les opinions scientifiques en cours, permettait d’abandonner celles-ci dans l’attente d’une hypothèse satisfaisante, la science en serait toujours à son point de départ, à un nouveau point
de départ, n’inspirerait aucun confiance et ne bâtirait aucune loi. Ne critiquons donc pas trop les latins de donner d’abord tort aux faits pour ne
pas remettre en cause des résultats scientifiques par ailleurs probants. D’abord, car ensuite il faut aussi s’expliquer les échecs, et l’on sait que ce sont ces échecs qui font avancer la
science.
S’il n’y
avait jamais de faits contredisant les théories en cours, la science serait figée, comme le sont les religions par exemple soumise à des dogmes et des rites séculaires. Oui, le fait qui
dénote a tort, mais dans un premier temps seulement, tant notamment qu’il reste unique, non reproductible, car alors il n’es t pas encore dans le domaine scientifique, pas encore jusqu’à ce que
une théorie se mette à l’expliquer, sans remettre les autres en cause, supprimant ainsi la contradiction apparente. La science n’a rien d’existant préalablement à sa recherche et qui nous serait
révélé peu à peu, comme une initiation, mais une découverte progressive d’une représentation logique du monde et de ses phénomènes, représentation qui donc peut varier dans le temps comme dans
l’espace. .
Que serait la
science sans idées ? Un catalogue de faits divers, dans lequel évidemment aucune contradiction n’apparaîtrait.
Mais pourquoi
donc recherche-t-on une cause à un fait qui se produit pour la première fois alors qu’on ne l’attendait pas ? Pour prévoir son retour si
celui-ci devait se produire, car pourquoi rechercher à expliquer un fait qui ne s’est jamais produit auparavant et qui ne se produira jamais plus ? Sachant qu’on recherche une cause pour
tenter d’expliquer le fait, pour le rattacher à quelque chose de connu, de déjà éprouvé, qui l’annoncera.
On recherche donc à relier un fait à autre fait antérieur .pour que si plus tard le fait antérieur se produise, on puisse prévoir l’arrivée du fait lui-même, les
deux faits ne constituant qu’un seul et même ensemble ? Comme l’on assemble un puzzle, on a fait un pas lorsque l’on a assemblé deux pièces, et
pour tenir compte de cet exemple, où le temps n’entre pas ligne de compte, mais seulement l’espace, au lieu de rechercher la cause d’un fait, on peut aussi bien rechercher ses effets, pour les
prévoir quand le fait se produira.
On peut donc
aussi bien être amené à rechercher les effets d’un fait que sa ou ses causes, toujours dans l’optique de placer ce fait dans une certaine continuité. On dans un certain ensemble sans en établir
pour autant des relations de causalité. Si deux faits apparaissent en même temps ou au même endroit, sans lien apparemment l’un avec l’autre, ils
nous semblent corrélés et l’on peut être amené à les associer sans pouvoir établir entre eux d’autres relations.
Il semble que cette façon n’est pas très scientifique, mais lorsque par exemple, en physique, on mentionne « dans
les mêmes conditions de température et de pression » il se passe telle chose, ne faisons-nous pas le même raisonnement, la température et la pression étant deux variables indépendantes l’une
de l’autre ? Et lorsque nous traçons un diagramme de vitesses avec en coordonnées l’espace et le temps ?
Une démarche
deviendrait-elle scientifique dés que l’on est capable de l’expliquer, n’étant pas digne de cette appellation si l’on est incapable ? Mais certains pouvant en être capables et d’autres (la plupart des autres) non, le caractère de la démarche dépendrait-il de celui qui la pratique ? Dans ce cas, la plupart des
faits sont incompréhensibles scientifiquement sauf éventuellement pour quelques-uns, la plupart se contentant de « faire confiance » aux « scientifiques » et notamment ceux-ci
entre eux.
Pensez-vous
que chaque fois qu’est émis un avis scientifique l’auteur ait remonté aux origines de la science et validé les étapes intermédiaires ? Non, il est parti, comme vous et moi, et ceux qui n’ont
rien de scientifiques, d’un point donné qu’il a considéré comme sûr et, à partir de là, a établi sa démonstration. Ce n’est que cette dernière qui peut mériter un qualificatif de scientifique, ce
qui précède ne l’est pas du tout. Et il y a toujours des choses, beaucoup de choses qui précèdent dont l’acceptation peut ne pas être considéré comme
scientifiquement acceptable.
« L’innovation a besoin de libertés. Les innovations sont comme des canards sauvages. Si on veut les domestiquer, ils perdent leur sens de l’orientation » Où seraient donc les progrès
de la science s’il n’existait pas de libertés dans le domaine de la science, comme dans tous les autres d’ailleurs ? Si toute idée émise devait découler de certitudes antérieures, comment en
découleraient-elles avec une certaine ? A de considérer qu’à un moment donné, tout a été dit, écrit, démontré, que tout doit être figé, mais alors on serait dans une science révélée –Aristote a
eu son temps – ce qui ne pourrait être que provisoire, le temps d’épuiser les théories à la mode.