Là où je suis, peut-être pas quand j’y suis, car l’enfer et le purgatoire peuvent aussi s’y trouver, mais pas en même temps, Pourquoi aller chercher ailleurs ce que je peux avoir ici ? Si je ne l’ai pas, c’est que ce n’est pas le moment, pas que ce n’est pas le lieu où je suis, mais que le temps n’y est pas. C’est en moi, là où je suis, que se trouve mon paradis, non ailleurs, chez d’autres que moi. C’est à moi de trouver ce paradis, pas à d’autres, ailleurs, de me l’offrir. Et à chacun d’en faire autant, le paradis n’a rien d’un collectif, d’un lieu à trouver ou à retrouver comme le jardin d’Eden, dont il faudrait demander à d’autres le chemin pour y accéder.
C’est à chacun de se donner le temps de se choisir le moment propice. Belle distinction entre l’espace et le temps que nous associons si souvent en assimilant le temps à l’espace. Le paradis, c’est là où je suis, ne signifie pas que j’en détiens les clefs, que je suis le Saint Pierre qui en ouvre les portes, et qu’il suffit d’implorer pour qu’il se laisse attendrir, les clefs, nous avons chacun les nôtres, chacun a la sienne qui ne convient qu’à lui, heureusement car si les voies du seigneur sont dites impénétrables, ce sont les siennes propres qui ne sont pas les nôtres.
Le paradis terrestre est là où je suis ou le paradis terrestre est quand je suis ? L’éternité dans un microcosme spatial ou l’immensité dans l’instant ? Est-ce le paradis que de se retrouver derrière des grilles, fussent-elles celles du jardin d’Eden, Se promener longuement en voiture, toutes vitres relevées, dans un parc où les animaux sauvages vivent en toute liberté, est-ce le paradis ? Se trouver au sommet d’une montagne et, l’espace d’un instant, entre deux passages nuageux, parcourir du regard le paysage qui se déroule sous nos yeux, est-ce le paradis ? L’espace d’un instant ou le temps d’un espace, l’immensité instantanée ou l’éternité localisée, l’éternelle immensité ou l’instantané ponctualisé. Nous ne manquons pas de mots pour exprimer le temps mais nous manquons de mots pour l’espace-temps. Le choix de l’expression « espace-temps » est significatif. « Dieu ne peut retrouver que ceux qui se sont perdus » (François Mauriac). Se perdre dans le temps ou dans le temps ou dans l’espace. Se perdre dans l’espace et mettre un certain temps pour s’y retrouver. Peut-on se perdre dans le temps et s’y retrouver avec un peu d’espace ? On peut l’imaginer en plaçant le temps et l’espace à la même échelle. Il faut beaucoup d’espace pour très peu de temps. Pour se perdre dans l’espace, il suffit de peu d’espace et il est parfois nécessaire de disposer (relativement) de beaucoup de temps. Pour se perdre dans le temps, même en très peu de temps, il est nécessaire de disposer de beaucoup d’espace, d’une immensité d’espace. Dans un monde où la seconde vaut 300 000 km, se perdre dans l’espace ou se perdre dans le temps ne peut s’imaginer de la même manière. Se perdre dans le temps nécessite le cosmos. »
Pas très clair le paragraphe précédent, sans que pour autant le malaise espace, temps, vitesse se soit dissipée aujourd’hui. La vitesse, dérivée de l’espace par rapport au temps… pourquoi pas une autre relation entre ces trois grandeurs ? On est tellement accoutumé aux coordonnées cartésiennes, avec l’espace généralement en abscisse et le temps en ordonnée, allez savoir pourquoi, qu’on passe peut-être à côté de quelque chose d’important, qui réconcilierait la relativité et la mécanique quantique. J’ai cette impression, elle est ancienne, et se ravive notamment chaque fois que je revois, sur papier ou en imagination, le cône de lumière de Minkowski, et l’interprétation donnée parfois à l’ailleurs. J’ai aussi toujours en mémoire mes interrogations au sujet de l’inertie et de la vitesse constante. J’aurais sans doute pu trouver une explication satisfaisante en me perfectionnant en mathématique et en physique traditionnelles, mais fallait-il trouver trop vite une solution toute faite? N’est-ce pas en se posant des problèmes que d’autres ont résolu à leur manière que l’on peut être amené à des solutions différentes toutes aussi convenables et débouchant parfois sur des horizons méconnus ?