Ce qui distingue l’homme de l’animal, c’est que celui-ci n’a pas la parole, encore une de ces phrases qu’énoncent pompeusement un certain nombre « spécialistes de la question » qui cherchent absolument à se trouver des arguments « scientifiques » pour conforter leur préjugés sur le refus de considérer que, si l’homme apparaît à lui-même comme l’être vivant le plus élaboré, il n’en doute que très rarement, c’est qu’il est d’une essence sans rapport avec les espèces animales qui ne sont là que pour ses besoins ou son plaisir, une nature toute entière donc à son service, car les espèces végétales n’échappent pas à sa mainmise et ne cherche-t-il pas aussi à façonner la matière. On ne doute pas de ses ambitions, des ambitions de certains individus car ce serait conclure trop vite que tous ont les mêmes prétentions.
Pour distinguer l’homme de l’animal, quoi de plus aisé que de prétendre que la parole est le propre de l’homme, la parole plutôt que le rire d’ailleurs, car certains animaux vont jusque là, la parole donc car on n’a jamais vu un animal parler, au sens où nous l’entendons évidemment, pour exprimer des idées qui lui sont propres et non, comme le perroquet par exemple, par simple imitation de paroles humaines, encore qu’on pourrait en discuter étant donné le choix du moment que le perroquet peut choisir pour s’exprimer.
Pour distinguer l’homme de l’animal, la parole ! Mais alors que penser de ces sourds-muets…à qui il manque la parole, et pour la plupart depuis leur naissance ? Personne n’irait jusqu’à imaginer qu’ils ne soient pas des hommes à part entière, simplement (si l’on peut dire) victimes d’un handicap comme il en existe d’autres, beaucoup d’autres, sans que pour autant on puisse douter de leur spécificité humaine. Mais alors à définir l’espèce humaine, définir c’est limiter, et à limiter l’espèce, on l’éloigne des autres espèces, on se refuse à une sorte de no man’s land, on est ou on n’est pas, on entre ou on n’entre pas dans la définition… mais, au fait, où est la définition ? Car, à défaut de définir, comment intégrer, comment exclure ?
A l’intérieur d’un groupe donné, relativement restreint, qui se connaît bien, c’est aisé. Les espèces n’étant pas fécondables entre elles, les familles se distinguent les unes des autres, et celui qui se considère comme faisant partie de l’espèce humaine (car le terme est une création de l’homme évidemment) retrouve ses congénères, ne se différenciant sans doute pas en cela des autres espèces qui chacune réagissent (pour éviter de dire pensent) de la même manière. La belle histoire du vilain petit canard d’Andersen, ou des constatations du même ordre, ne change rien à l’affaire.
A ne pas pouvoir se féconder entre elles, les espèces conservent une cohérence certaine à notre échelle (n’oublions pas, et on l’oublie souvent, que c’est l’échelle d’observation qui crée le phénomène), ce qui n’empêche nullement le principe d’une évolution, laquelle alors ne peut qu’être lente, si tant est que lent ou rapide puisse alors signifier quelque chose. Donc, pour un groupe d’humains donné, pas de doute, mais lorsque s’étend la communication entre des groupes ne se connaissant pas jusqu’alors, la question peut se poser sur l’appartenance à une même espèce, c’est-à-dire à la définition de l’espèce.
Pour quoi faudrait-il prendre le critère de la fécondabilité, et uniquement ce critère-là pour caractériser une espèce ? Un passé, pas si ancien, nous a montré combien il était difficile de considérer d’autres humains comme étant de la même espèce que la nôtre. Imaginons – et ce n’est plus tout à fait aujourd’hui de la science-fiction – des humains envoyés sur une planète lointaine et s’y multipliant sans contact ultérieur avec notre planète, seraient-ils, au bout d’un temps long mais fini, encore de notre espèce ?