Est-ce impatience, habitude ou nécessité que de louer et condamner à tour de bras, sans prendre le temps d’examiner la valeur de la pensée ? Les préjugés sont d’abord des évidences, ils s’émettent comme si ne pouvait apparaître un autre avis. Evidences n’admettant donc pas, aux yeux de ceux qui les émettent, la moindre discussion sur leur véracité. Il s’ensuit que c’est toujours celui qui est moins sûr de ce qu’il avance qui est le moins disposé à se voir mis en contradiction avec ses propos, et devant une autre évidence que celle qu’il défend, refusera de se rendre…à l’évidence que ses propos n’avaient guère de sens.
L’homme, prétend-on, est communément doué de raison, mais une fois accroché sur l’un de ses préjugés, se cabre et peut tomber dans des raisonnements absurdes. La pensée est un mouvement, disait Platon, une vérité qui cesse d’être méditée devient une opinion, écrivait Hegel, mais on pouvait très bien s’en sortir (présageons-le en tout cas) sans citer ces deux prestigieux philosophes.
Une vérité qui cesse d’être méditée devient une simple opinion, un cadavre de vérité…Ce n’est donc pas seulement parce que l’on ne prend pas le temps d’examiner la valeur de la pensée qu’on se suffit de préjugés, mais aussi parce que nous ne remettons pas en examen ce que l’on croyait être des vérités bien établies, alors qu’elles n’étaient valables qu’en un lieu et à un instant donné. La pensée est un mouvement et à ne s’appuyer que sur des vérités que l’on croyait sûres, on se retrouve avec de simples opinions très relatives. C’est par une permanente remise en question que l’on peut espérer échapper aux préjugés qui nous assaillent.
Evidemment, à le faire, on passe souvent pour un casse-pieds alors qu’on est le plus souvent qu’un empêcheur de tourner en rond. Mais il ne suffit pas de douter d’un préjugé, de le démonter pièce par pièce, de faire appel à la raison la plus élémentaire, pour l’abattre. S’abriter derrière des préjugés, quels qu’ils soient, c’est prendre une position bien plus confortable que celle de celui qui doute.
Non seulement, on apparaît souvent comme un être décidé, qui sait ce qu’il veut, qui a des idées bien arrêtées sur à peu près tout ce qui se présente, alors que l’autre fait figure d’indécis, même s’il ne l’est pas, car à remettre en doute, on peut être accusé de beaucoup de défauts, jamais de qualités…sauf quand, ça arrive mais rarement, un retournement se fait dans l’opinion. Vous apparaissez alors comme un prophète ou un devin, alors que vous n’avez que remis en question une opinion communément admise, au préjugé énoncé, vous avez ajouté un point d’interrogation. Mais cette idée-là échappe à beaucoup d’entre nous.
Ce point d’interrogation n’est évidement pas suffisant, il est même inutile s’il n’entraîne pas de remise en cause, sinon chez l’autre, celui que l’on interpelle, au moins chez celui qui remet sa pensée en mouvement, finalement quasiment par habitude, tant il a la possibilité de le faire fréquemment dans les domaines les plus divers.