On ne s’étonne pas, dans une situation donnée, de ne pas voir tout ce qui se présente, on ne peut pas tout voir, et l’on ne prête attention qu’à ce qui nous intéresse, attire notre attention. Ce qui fait qU’il peut y avoir, qu’il y a peut-être, autant de manière de regarder un tableau qu’il y a d’observateurs. Certes, on considère que certains traits ne doivent échapper à personne, tant ils sont « voyants », mais pour le reste, à chacun de trouver sa propre représentation.
Mais comme il faut, quand même, qu’une certaine impression se dégage, il en est qui se chargent de guider le public dans certaines voies. Que de gens passeraient devant un tableau sans lui jeter le moindre coup d’œil et s’extasient subitement lorsqu’on en cite le réalisateur. De même, à citer un paragraphe d’un écrit, la réception pour beaucoup sera très différente s’il émane d’un inconnu ou d’un écrivain célèbre. Allez comprendre.
Nous entretenons des relations diverses avec tout ce qui nous entoure, mais nous avons toujours en arrière-plan l’idée qu’il existe une réalité derrière nos impressions, que cette réalité est unique. Un objet est « tel qu’il est », on peut le trouver beau ou laid, grand ou petit, tape à l’œil ou discret, fragile ou solide, à la réflexion on se dit que ce ne sont que des impressions, des perceptions différentes de l’objet, mais que, derrière cela, il y a l’objet !
C’est absurde évidemment, mais nous sommes ainsi faits. Un chien, une mouche ne voient pas le monde comme nous le voyons, mais c’est notre vue qui prime, nous sommes des êtres conscients, les seuls à l’être estimons-nous, donc ce que nous voyons des objets est ce que ces objets sont en réalité. Une réalité humaine, la réalité. Nous admettons les illusions d’optique par exemple, mais même alors, nous admettons notre erreur et pensons alors que la réalité alors n’est pas celle que nous voyons, mais qu’il y a une réalité derrière les apparences. .
Une « réalité » peut-elle exister sans observateur ? L’observation crée-t-elle la réalité, ou ne fait-elle que la révéler, la faisant passer du virtuel au réel ? La réalité alors serait plus virtuelle que réelle. Quelle est la réalité d’un hologramme, ce « cliché photographique transparent, pris par la lumière émise par un laser, qui, éclairé sous un certain angle par une source lumineuse monochromatique, restitue une image en relief de l’objet photographié » ?
Pas de réalité sans observateur, cela peut faire rêver les amateurs de fin du monde matériel avec survivance de l’esprit. Plus d’observateurs, d’observations physiques s’entend, donc plus de réalité matérielle, mais qu’est-ce qu’un observateur ? Un être humain ? Plus d’êtres humains plus de réalité physique, mais pourquoi l’être humain serait-il le seul capable d’observer ?
Si le rameau humain ne s’était pas détaché des branches animales, comment imaginer que notre monde ne serait que virtuel ? Considère-t-on que la naissance (réelle)de l’univers ne remonte qu’à l’arrivée du premier homme ? C’est peut-être un point de vue à rapprocher de celui de la Genèse : quelques « jours » avant ce premier homme, le premier observateur, c’était le néant. L’univers sans les êtres humains n’aurait pas de raison d’être.
Et l’univers antérieur au premier homme n’aurait de réalité aujourd’hui que dans la mesure où nous, les hommes, le découvrons. Non que nous le découvrons, mais que nous transformons de virtuel en réel. Mais alors nous ne le découvrons pas, nous l’inventons, nous le créons. Et le monde sans l’homme n’aurait pas existé ? Et les animaux alors, n’auraient-ils pas été les observateurs de ce monde privé d’hommes ? Ce ne sont quand même pas les hommes qui les ont créées, ces animaux, observateurs de leur monde.
Alors faire remonter la réalité du monde au premier animal capable de l’observer ? Mais, objecteront certains, l’animal n’a que des instincts, il n’agit pas, il subit, il ne peut donc pas créer. Comment aurait-il pu transformer du virtuel en réel ? On en revient à la pensée réfléchie qui distingue paraît-il, l’animal de l’homme. Les animaux n’auraient alors vécu que dans un monde virtuel avant l’apparition de l’homme qui alors aurait fait passer le monde et ses occupants d’alors du virtuel au réel par le seul fait de ses observations.
Ce serait la prise de conscience de l’objet qui le crée, n’existerait réellement que ce dont on a conscience. Non, conscience soi-même, en tant qu’individu, mais dont un être humain, quel qu’il soit, aurait conscience. Ainsi chacun d’entre nous aurait sa propre réalité, en dehors de laquelle serait, sinon le néant, au moins le virtuel. C’est un point de vue défendable, chacun de nous en effet a une vision du monde qui résulte de ses propres observations, dans le sens le plus large du terme.
Mais alors, avec chacun d’entre nous, apparaîtrait puis disparaîtrait la réalité du monde, la conception que nous nous faisons d’un monde qui pourtant existe sans nous, puisqu’il est observé par d’autres que nous ? Mais qui sans nous n’existerait pas tel qu’il existe avec nous. Nous sommes donc chacun un élément constitutif du monde, non seulement parce que nous l’observons, mais parce que nous existons.
Ceux qui n’observent pas le monde en sont quand même des éléments constitutifs dont les observateurs doivent tenir compte. Donc le monde existe sans observateur, mais à ne pas l’observer, on ne peut en affirmer la réalité. Ne peut exister que ce que l’on peut observer. Serait virtuel ce que l’on n’observe pas. Mais on peut aussi observer le virtuel, comme la flamme de la bougie vue dans un miroir. Ou dans certain cas.
Il peut nous paraître étrange de voir ce qui n’est pas pour d’autres, d’apercevoir un être ou un objet à un moment donné, et l’instant d’après devoir convenir que cet être ou cet objet ne pouvait être là, comme si, l’espace d’un moment seulement du virtuel s’était muté en réel. Mais il ne nous paraît pas étrange de ne pas avoir vu un être ou un objet qui pourtant se trouvait à portée de vue. C’est assez dire que derrière ce que nous voyons, nous imaginons une réalité existant indépendamment de notre vision. On peut ne voir qu’une fraction de cette réalité-là, mais en voir plus n’est guère admis.
Et pourtant il existe des « réalités » que certains voient et que d’autres ne voient pas, mais nous définissons par réalité ce que nous, et le commun des êtres humains avec nous, peuvent voir. Il nous faut l’assentiment, même tacite, d’autrui pour nous assurer que nous ne rêvons pas. Seuls, il arrive que nous doutions, mais dès que nous sommes plusieurs, même deux seulement, nous sommes convaincus de ne pas avoir rêver.
Ainsi se construisent des opinions qui ne se partagent qu’entre un certain nombre, sans débouché universel, tant le caractère particulier apparaît aux autres. Chacun se construit sa propre réalité, sa propre conception du monde, aussi réelle pour lui que celle de son voisin, qu’un religieux ou un scientifique. Mais on donne le nom de réalité à ce qui peut être admis par le plus grand nombre. Ainsi, la création du monde, et en sept jours, était une réalité, la réalité dans le monde judéo-chrétien, mais n’avait rien d’universel puisque n’étant pas la même pour d’autres humains d’alors.
Périodiquement, maintenant de plus en plus souvent, nous débarque une nouvelle scientifique qui nous fait réviser la conception admise précédemment comme universelle. Précision supplémentaire due à l’affinement de données, ce qui conforte dans l’idée que la science, l’expression de la raison humaine, approche toujours d’une réalité ultime, bouleversement qui remet en cause ce que l’on croyait être cette réalité ?