Mais pourquoi donc me précipiterais-je de librairie en librairie pour tenter de me procurer la dernière édition de tel journal ou revue et quel air fureteur devrais-je prendre pour qu'un libraire inconnu me le sorte de dessous son comptoir? Me sentirais-je libre de me cloner ainsi sur la tendance du jour? Pourquoi devrais-je m'associer à ce mouvement de défense de liberté de la presse, alors que je suis personnellement plutôt convaincu qu'il y a là-dessous plus simplement une belle occasion de vendre quelques centaines de milliers de journaux ou de revues supplémentaires?
La presse est la mieux placée pour défendre elle-même sa liberté en un temps où elle a pris un pouvoir considérable sur des lecteurs sans autres repères que ceux qu'elle leur donne, plutôt l'ensemble des médias que la presse seule, mais est-ce au lecteur-auditeur de s'immiscer dans les rapports entre la presse écrite, qui se dit souffrir, et l'image, la télévision, Internet et autres supports modernes?
Le plus grand service que pourrait rendre le grand public aux médias serait de les replacer dans leur rôle de dispensateur d'informations, de ne pas suivre ceux qui vont trop loin ou pas assez, de les juger pour leur qualité et leur souci d'exactitude, et non d'en faire les maîtres à penser, si tant est que l'on puisse encore avoir des pensées personnelles lorsqu'on se noie dans un flot d'informations toutes présentées comme ce qui est ou a été et qui ne sont en fait que des interprétations orchestrées.
Souvenons-nous du démarrage de l'affaire d'Outreau où les médias ont, en moins de temps qu'il n'aurait peut-être fallu pour creuser un peu avant de fantasmer sur un réseau de pédophilie à ramification internationale. Ont donc au moins manqué de mesure avant se lancer dans d'aventureux développements à la une, dont le caractère de vérité ne devait alors échapper à un aucun lecteur. Tout comme aujourd'hui, avec autant de certitude, le scandale ne peut être dû qu'à un dysfonctionnement de la justice, mais comment donc a-t-on pu croire à cette invraisemblable histoire d'un réseau pédophile, auquel auraient pu participer tant de braves gens?
Alors l'affaire, car tout est monté en affaire et ici on peut dire que c'en est vraiment une, celle des caricatures dont on n'ajoute même plus que ce sont celles de Mahomet, au point qu'on peut se demander si d'autres caricaturistes aient jamais existé, point n'est question de discuter de leur qualité, et pourtant qu'est-ce donc qu'une caricature de qualité?
Une caricature dont celui qui en est l'objet, même s'il la trouve exagérée (car c'est une caricature !), même s'il s'en offusque publiquement, c'est son droit et parfois son devoir, ne peut s'empêcher d'en apprécier l'esprit et l'amène, ainsi que ceux qui en prennent connaissance, à s'interroger sur des aspects insoupçonnés.
Un exemple connu: celle de Jean-Paul II, lorsque, venant de décéder, se présente là-haut et n'y trouvant personne, s'autorise un timide: « Heu, y a quelqu'un? ». Une horreur pour un intégriste chrétien - comment peut-on faire douter un pape, et un tel pape, de l'existence de l'au-delà ? - mais finalement, quelle aurait été la réaction de Jean-Paul II lui-même devant une telle caricature? Sans doute celle de se dire que ce petit dessin avait le mérite de poser le problème et d'interroger les consciences beaucoup mieux que ne le faisaient les théologiens depuis la nuit des temps. Donc une bonne caricature.